Le grand orgue
Le Grand-Orgue de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon est sans nul doute l’un des plus importants instruments construits au cœur du XVIIIème siècle en province française.
Son magistral buffet de 24’ (24 pieds. 1 pied = environ 30cm) en montre, vraisemblablement dessiné par Karl-Joseph RIEPP, facteur réalisateur de l’instrument, et ciselé dans le plus pur style Louis XV par les frères MARLET, maîtres sculpteurs dijonnais, impose l’admiration sur l’élégante tribune élevée vers 1740, qui affiche de part et d’autre de son arche dont les montants sont ornés d’attributs musicaux repris, pour certains sur le soubassement du buffet, les tympans de David jouant de la harpe et de Sainte Cécile sur un orgue portatif.
Par son élancée majestueuse vers la voûte, il est très certainement et à première vue l’élément mobilier le plus saisissant et impressionnant de la nef de l’église.
Cet instrument a été construit dans les années 1740-45 par les frères RIEPP dont Karl-Joseph, l’aîné, en sera le signataire alors que l’église était l’abbatiale d’un très grand monastère bénédictin dont seul subsiste aujourd’hui le dortoir des moines, abritant le musée archéologique qui jouxte perpendiculairement le chœur de l’édifice.
Karl-Joseph RIEPP est né en 1710 à Eldern, petit village Souabe lové à l’ombre de la très célèbre abbaye bavaroise d’Ottobeuren.
Très tôt, lui et son frère Ruppert décidèrent de partir travailler à Strasbourg chez le facteur d’orgues Andreas SILBERMANN qui les éveilla au style d’orgue français pratiqué en Alsace.
De là ils gagnèrent la Bourgogne dans les années 1736 et s’établirent à Dijon, rue de la Prévôté, à quelques pas de Saint-Bénigne.
Karl-Joseph fut naturalisé français en 1747 et, en 1748, s’imprégnant très vite des traditions bourguignonnes, fit l’acquisition de vignobles situés entre Gevrey-Chambertin et Nuits-Saint-Georges, c’est dire son goût prononcé pour les choses de l’oreille comme pour celles du palais !
Après s’être fait connaître à Citeaux, à Dijon – cathédrale Saint-Etienne, Sainte Chapelle entre autres – il se voit confier, en 1740, la construction du Grand-Orgue de l’abbaye Saint-Bénigne.
L’enjeu était de taille qui prévoyait un instrument de 4 claviers, 45 jeux dont un Plenum (Grand Plein-Jeu) de 32’ au clavier de Grand-Orgue. La gageure fut couronnée de succès et, en 1745, RIEPP livrait l’instrument aux yeux et aux oreilles, aux mains et aux pieds des fidèles et musiciens ébahis.
Outre le Plein-Jeu sur la Montre de 32’, l’instrument était pourvu d’un Grand-Jeu (sonorité tout à fait caractéristique de l’Orgue Classique Français) très fourni sur les deux claviers principaux avec les réponses qui dialoguent aux claviers de Récit et Écho. La Pédale dite « à la française » est en 16’ selon la tradition française de l’époque.
Karl-Joseph RIEPP décède en 1775 nous laissant sa mémoire dans nombre d’instruments qui témoignent encore aujourd’hui de son génie incontesté.
Le temps s’écoulant inexorablement, l’instrument sera livré aux mains de nombreux organiers (facteurs d’orgues) qui, tous, laisseront leur empreinte comme marque des influences successives.
Il fallait plus se son, davantage de notes, d’effets et donc de développement instrumental qui requérait des jeux nouveaux sur une étendue de claviers plus grande.
Jean RICHARD, facteur champenois, fut celui qui, en 1787-89, à la veille de la Révolution, changea le caractère de l’instrument conçu à l’origine, malgré son importance, pour une abbatiale.
Il fallait faire sonner les chasses, et autres orages ou canonnades jusqu’aux variations de la Marseillaise du célèbre dijonnais Claude BALBASTRE (1724-1799). Par ailleurs, l’église Saint-Bénigne se voyant élevée au rang de cathédrale en 1792, le Grand-Orgue n’aura cessé de s’enrichir de jeux nouveaux mais aussi de subir des dévastations qui ont vu petit à petit disparaître une grande partie de son matériel d’origine.
Parmi les noms connus de facteurs d’orgues, certains sonneront familièrement à nos oreilles, entre autres, les frères CALLINET et en particulier Joseph qui augmentera le clavier de Grand-Orgue à 26 jeux et celui de Récit à 12 jeux sur 54 notes avec l’apparition des jeux gambés dont les fameuses trois Gambes de 16, 8 et 4 pieds.
D’autres facteurs ont amené progressivement notre instrument à une vision orchestrale symphonique, virage prononcé au XIXème siècle avec DUCROQUET, DAUBLAINE-CALLINET, MERKLIN, le dijonnais d’adoption GHYS. Puis, en 1955, sous la conduite d’André FLEURY, son nouveau titulaire, l’orgue subit une restauration totale avec l’installation d’une traction électro-pneumatique par les établissements RŒTHINGER et l’harmoniste Robert BOISSEAU. Marcel DUPRÉ inaugura l’instrument le 12 juin 1955.
De 1955 à 1988, l’orgue fut entretenu par Philippe HARTMANN mais le manque de fiabilité de la traction électrique de l’époque et l’essoufflement progressif de l’instrument malgré les sauvetages quasi miraculeux du facteur si ingénieux, ont conduit dès les années 1975 à une réflexion pour sa reconstruction.
C’est ainsi que, en 1988, la Commission Supérieure des Monuments Historiques du Ministère de la Culture a décidé de programmer cette reprise totale et de la confier au facteur bavarois Gerhard SCHMID (la boucle « RIEPP-SCHMID », tous deux bavarois, est ainsi bouclée).
Pour la première fois depuis sa construction, l’orgue disparut complètement de la tribune aux fins de la consolider par des matériaux de construction actuels afin d’assurer la stabilité de l’instrument rénové.
Les buffets ont été déchevillés puis transportés en atelier à Kaufbeuren pour y être décapés et restaurés.
La tribune ainsi totalement vide aura laissé place à des campagnes successives de travaux de restauration complète de l’intérieur de l’église pour accueillir de nouveau, 8 ans après, le Grand-Orgue intégralement reconstruit.
Il fut inauguré en mars 1996 par Maurice CLERC, Yves CUENOT, Jean GUILLOU, François-Henri HOUBART, André ISOIR et Jean-Pierre LEGUAY. Le Grand-Orgue est aujourd’hui doté de 2 claviers manuels de 61 touches (Positif, Grand-Orgue) et pédalier de 34 marches avec ravalement au contre-Sol, 56 touches au Récit symphonique, 39 touches aux Récit classique et Écho et 72 jeux permettant ainsi d’exprimer l’ensemble du répertoire.
La traction des claviers et registres est mécanique. Toutefois, un combinateur électronique de registrations a été installé, permettant ainsi à l’organiste tout le confort requis pour se concentrer à la musique qui se dégage de cet instrument en majesté.
Yves CUENOT.
Comme on aime les orgues ! Comme leur voix sait pénétrer jusqu’au tréfonds des cœurs ! Si leurs origines furent profanes, il faut bien reconnaître, avec Joseph d’Ortigue, que « le génie religieux a pu seul faire de l’orgue le merveilleux instrument que nous connaissons et qui est l’expression la plus complète à la fois et la plus parfaite de la pensée chrétienne dans l’art envisagé comme forme du culte. » Et voilà pourquoi Lamartine pouvait chanter, car ses vers sont une musique :
Eugène FYOT – la revue de Bourgogne – 15 novembre 1923 – Numéro XI
On n’entend pas sa voix profonde et solitaire
Se mêler, hors du temple, aux vains bruits de la terre.
Les vierges à ses sons n’enchaînent point leurs pas,
Et le profane écho ne les répète pas.
Mais il élève à Dieu, dans l’ombre de l’église,
Sa grande voix qui s’enfle et court comme une brise
Et porte en saints élans à la Divinité
L’hymne de la nature et de l’humanité.
… Mais l’orgue est la voix des siècles, c’est la symphonie des croyants qui clament leurs prières, c’est la plainte des meurtris, c’est le triomphe des jours glorieux, c’est un écho puissant de la vie des peuples.
Voilà pourquoi
Comme la lampe du sanctuaire
L’orgue est sacré,
L’orgue doit vivre ;
Il ne faut pas le laisser périr.